- "Faux ma belle, il est déjà là."

Je me tenais juste derrière la jeune femme qui avait approché Ciel. Je m'étais fourvoyé et j'avais commis une sacrée erreur. Une erreur de débutant que je ne me pardonnais pas. Je devais vraiment mollir avec l'âge pour pouvoir me tromper à ce point et ne plus être capable de déceler le danger là où il était. Oh bien sûr, j'avais senti le démon, mais j'avais suivi une piste factice, alors qu'elle s'était arrangée pour rejoindre le jeune garçon. Je l'avais laissé seul une bonne vingtaine de minutes, assez pour se faire tuer. Mais il était inconcevable que je laisse ceci arriver. Ciel était à moi.

Ma haute silhouette dominait celle, plus frêle de la jeune femme, mais elle sentait le très vieux démon à plein nez. D'ailleurs, cette odeur n'était pas sans me rappeler quelque chose, mais c'était difficile à dire. J'avais croisé tellement d'enfants de Satan au cours de ma vie, que mettre un nom sur une odeur était quasiment impossible.

Je me glissais près de la jeune femme, avant de venir m'asseoir près de Ciel. Et là, j'eus un moment de flottement en reconnaissant la démone. Je l'avais connue brune et je remarquai alors qu'elle portait une perruque. Par tous les saints... Voilà bien un visage que j'avais pensé ne jamais revoir.

- "Le blond ne te va pas, ma chère."

Cléopâtre... plus vieille que moi encore. Cela faisait plus de 1000 ans que nous ne nous étions pas revus. Nous avions pourtant été proches, très proches... Amants, amis, avant que je ne décide de tout lâcher et de suivre ma propre voie. Cléopâtre était dévouée à Satan, elle dirigeait même l'école, elle ne m'aurait jamais suivi. Et je me doutais qu'elle devait désapprouver ce que j'avais fait.

- "Quelles surprenantes retrouvailles, Cléo. Toujours aussi belle, c'est un péché à ce niveau de perfection."

J'avais toujours été charmeur et beau parleur. J'étais tout à fait décontracté, même si je me maudissais mentalement de ne pas avoir su éviter cette rencontre. La revoir soulevait trop de sentiments contraires que je préférais balayer. Et me renvoyait à une époque lointaine de ma vie. Trop lointaine. Je sentais la désapprobation de Ciel et soupirai intérieurement. Nul doute qu'il allait se faire un plaisir de me fustiger pour l'avoir laissé aux prises avec elle. Il allait sans doute aussi râler parce que j'avais agi de mon propre chef en n'écoutant pas ses ordres. Je me pliai au moindre de ses caprices, mais dés qu'il s'agissait de sa sécurité, je l'envoyais au diable. Il était trop têtu pour son propre bien. Et trop arrogant pour son âge. Insupportable en fait. Mais c'était le prix à payer pour son âme.

- "Je vois que tu as fait la connaissance de mon neveu. Je suis sûr qu'il s'est montré charmant..."

Il y avait une grande dose d'ironie sur le charmant. Parce que Ciel était une peste. Capable de repousser les démons les moins valeureux tant il était... chiant. Même carrément mal élevé en fait. J'aurais bien aimé y remédier, mais je n'avais pas de prise sur lui. Tout juste pouvais-je éduquer sa sœur, moins farouche et méfiante.

Les manières de Ciel m'agaçaient plus souvent qu'elles me ravissaient, mais quand il reprit la parole pour dire qu'ils s'entendaient déjà à merveille, je ne pus m'empêcher d'être amusé par son assurance et son arrogance. Ce gamin ne cessait de m'étonner par sa manière de se comporter. Une façade, le plus souvent, mais qui était drôlement bien travaillée. Il ne se conduisait pas comme un gosse de son âge, il n'avait pas les réactions affectives d'un gamin de 12 ans. Mais Ciel ne put que continuer dans son arrogance et me réprimander pour mon interruption. Je haussai un sourcil ironiquement, avant qu'il ne parle d'aller ailleurs en compagnie de la démone.

- "Hum, on ne t'a jamais appris à ne pas parler aux inconnus? Aussi jolies soient-elles? Alors les suivre... Je te pensais nanti d'un peu plus de bon sens."

Surtout quand les inconnus étaient des démons deux fois millénaires. C'était quand même un étrange hasard que Cléopâtre soit justement venue accoster MON humain. Quand la divine démone prit la parole et m'appela par mon nom de l'époque, je tressaillis. Ola, ça faisait un bail quand même, j'eus soudain un coup de vieux. C'était une époque tellement lointaine, avant que je ne renie Dieu et Satan.

- "Décédé? Ça a failli, plusieurs fois. Tes petits copains ont une dent contre moi, va savoir pourquoi."

Je haussais négligemment les épaules. Encore de l'ironie. Ces imbéciles n'acceptaient pas le fait que je me sois détourné de Satan et que je ne prenne pas part au conflit. Qu'est-ce que cela pouvait bien leur faire?

- "Mais je ne suis pas homme à me laisser abattre aussi facilement."

La dernière fois avait été les prémices de ma rencontre avec Ciel. Sans ce démon, sans doute n'aurais-je pas déniché ce gamin à l'âme si particulière. Merci les gars.

- "Tu me vois rassuré."

Sa sublime chevelure brune, au parfum si particulier. Si soyeuse sous mes doigts... Cléopâtre et moi avions entretenu une relation torride. Sans amour, mais qu'importe? Nous ne recherchions pas cela à l'époque. Et niveau sexuel, nous nous entendions à la perfection. Nous aurions pu continuer à badiner si la démone n'avait décidé de m'interroger sur mes façons de faire. Ah... Pourquoi est-ce que cela ne m'étonnait pas de la voir ainsi s'offusquer que je traite avec un gosse? Parce que Cléopâtre n'était pas comme moi. J'étais plus proche de l'image populaire du démon qu'elle, c'était évident.

- "Allons ma chère, tu sais bien que j'ai jeté toute morale aux orties depuis bien longtemps. Enfant, adulte, quelle différence? Les adultes ont été des enfants et les enfants deviendront des adultes. Maintenant ou plus tard, qu'est-ce que cela change? Ciel grandira, vieillira et je veillerai sur lui, jusqu'à ce qu'il paie son dû."

A aucun moment je ne parlai de sa sœur. Mieux valait que Cléo ignore certains détails nous concernant. Comme le fait que je prenais deux fois son âme. Ca, elle n'apprécierait sûrement pas, parce que je mentais : il grandirait et vieillirait certes, mais pas tout à fait comme si je n'avais jamais fait irruption dans sa vie.

- "Et je te signale que je ne l'ai pas pris en traître. Il a accepté les termes du contrat."

Bon, d'accord, il était sans doute en position de faiblesse. Ses parents se mourraient à l'étage, sa sœur était inanimée, tout brûlait, j'avais été une excellente échappatoire. J'avais profité de sa faiblesse. Et alors? J'étais un démon, indépendant de surcroît, j'avais besoin de ce genre de lien pour rester difficile à abattre par les autres.

- "Au moins, il ne participera pas à votre petite guerre stupide."

Je remarquai que Ciel me regardait d'une drôle de façon. Ah oui, il ignorait tant de choses sur moi que le nom par lequel m'appelait Cléo et notre relation devait soulever quelques interrogations chez lui.

- "Quoi? Tu crois que je me suis toujours appelé Iago? Ça ne fait que 4 siècles que j'ai adopté ce nom, j'en ai eu bien d'autres avant."

Je revins vers Myriam, rajoutant avec une note amusée dans la voix :

- "Et j'ai connu cette charmante demoiselle il y a très longtemps. D'ailleurs, comment dois-je t'appeler? Si ma mémoire est bonne, tu as décidé de te lancer sous les feux des projecteurs... Une valeur montante dans l'univers si particulier des stars. Myriam, c'est ça?"

Oui, j'avais la télé, je lisais les journaux et Wilha adorait regarder les émissions sur les people, alors forcément, j'étais un peu au courant. Cléopâtre avait décidé de faire l'actrice. Tant mieux, elle faisait ainsi profiter de sa beauté à tout le monde. Quel altruisme.

- "Mais je m'interroge : combien de temps comptes-tu faire illusion? 10 ans? Je sais que la chirurgie esthétique fait des miracles, mais quand même. Pas de chance, tu ne connaîtras le succès qu'une petite dizaine d'années, avant de devoir retourner dans l'ombre."

Je ne comprenais pas ces immortels qui se pavanaient ainsi en public. Pour ma part, j'avais adopté la méthode de faire profil bas. J'avais une immense fortune, mais peu de gens connaissaient mon visage au final. Il me suffisait de déménager régulièrement, de changer mes papiers et voilà, je renaissais tous les 10 ans. Je ricanai quand elle reprit qu'il fallait coucher Ciel.

- "Une vraie mère poule."

Mais il était vrai qu'il était relativement tard. Sauf que Ciel semblait avoir une foule de questions en tête en rapport avec cette rencontre et donc, mon passé. Je ne lui avais dit que le strict minimum me concernant. Il ignorait mon âge, il ignorait mon histoire, mes relations... Il ne savait même pas que j'étais indépendant. Je lui avais fait une description très concise des anges et des démons, ainsi que de leurs buts.

- "Tu as entendu Ciel? Maman dit que tu devrais aller dormir."

Au fond, je savais bien que je ne pourrais jamais réellement dompter un démon comme Iago. Il faisait ce qu'il voulait, quand il le voulait; et quand il succombait à mes caprices, il le faisait uniquement dans son propre intérêt. Oui oui, j'étais au courant de tout cela, et je ne prétendais pas le contraire. Si un jour il décidait d'accomplir un acte pour moi, réellement pour moi, cela signifierait que nous étions amis. Ou pire, amoureux. Et ça, il en était hors de question ! Je ne fus donc pas étonné de l'entendre me répliquer sans la moindre gêne. Même si cela m'irritait.

- Hum, on ne t'a jamais appris à ne pas parler aux inconnus? Aussi jolies soient-elles? Alors les suivre... Je te pensais nanti d'un peu plus de bon sens.

Un chien était censé subir, pas essayer de se défendre. Je continuai à le regarder de haut, sans me laisser démonter par sa supériorité. Il ne pouvait rien me faire, peu importe ce que je disais, peu importe comment je le traitais.

- Apparemment, il ne s'agit pas d'une inconnue, "Léandre".

J'avais exagéré la prononciation de ce nom.
Léandre.
Voilà comment elle avait surnommé mon Iago.
Léandre.
Ils s'étaient mis à discuter comme deux bons vieux amis, et à chaque fois que Cléo utilisait cette appellation, j'en frémissais d'horreur. Un nom français, pouah ! Le démon baissait encore une fois dans mon estime. Il dût remarquer à quel point je le scrutais avec dégoût, parce qu'il s'interrompit et me lança:

- Quoi? Tu crois que je me suis toujours appelé Iago? Ça ne fait que 4 siècles que j'ai adopté ce nom, j'en ai eu bien d'autres avant.

- Je sais.

Décidément, c'était lui qui me prenait pour un con. Je détournai les yeux, optant pour le portrait de la fille plutôt que le sien. Ce fut à elle que je m'adressai ensuite:

- Ne prononce plus jamais ce nom devant moi. Il s'appelle Iago. Et va chercher du plaisir ailleurs, veux-tu ?

Mon ton s'était durcit. Oh non, je n'avais pas loupé les adjectifs qu'avait employés la démone. Cher et tendre. Les muscles de mes mains s'étaient crispés, ma mâchoire s'était serrée. En fait, je me fichais royalement que Iago ait eu des centaines de noms avant même que je sois né, ou encore qu'il ait couché avec un nombre incomparable de femmes. Mais il m'appartenait désormais, et il devait se dévouer à moi. Surtout quand sa prétendante n'était qu'une gamine en manque d'attention qui courrait après les hommes plus âgés (cette impression que j'avais d'elle n'avait toujours pas disparu). Comment pouvait-il lui aussi, de son côté, l'appeler par des petits nom affectifs du genre chérie et ma belle ? Je savais bien qu'Iago adorait jouer les charmeurs, mais de là à le faire auprès d'une fille aussi affreuse ? Il y avait des fois où je ne comprenais pas du tout les démons, et où je ne voulais surtout pas chercher à comprendre. Je désirais seulement qu'ils cessent leur petit jeu ridicule et ennuyant.

-Tu sais, je crois qu'il vaudrait mieux aller coucher ce gamin pour que nous puissions ensuite discuter, je crois qu'on a beaucoup de choses à se dire... Et puis, c'est pour ca que je suis venue lui parler à l'origine, à cet âge là, ca devrait être couché depuis longtemps... finit par annoncer Myriam (Iago en avait conclu qu'on devait l'appeler ainsi).

Si j'avais eu un super-pouvoir, elle aurait été éjectée de ma vue illico. Putain, mais pour qui elle se prenait ? Ma mère, peut-être ?

- Tu n...

Je n'eus le temps de terminer ma réplique, car Iago me coupa net.

-Tu as entendu Ciel ? Maman dit que tu devrais aller dormir.

Alors ça ! Il était en train d'oublier qui est le maître, ou quoi ? Je fis une moue sérieuse et croisai les bras sur ma poitrine.

- Reconduis-moi au manoir alors. Seul, sans cette blondasse en face de nous. Tu vas devoir me donner un bon bain chaud, c'est compris ? J'en ai grandement besoin. Ensuite, tu me porteras jusque dans mon lit, et tu resteras auprès de moi jusqu'à ce que je m'endorme; j'ai des troubles d'insomnie ces temps-ci. Tu peux nous lire une histoire, à moi et Wilha, aussi. J'ai promis à ma sœur que tu allais passer la nuit avec nous.

Il ne gagnerait pas. Ni lui, ni elle.

[Avec l'accord de Myriam, je m'en vais te mettre au lit petit impertinent xD]

Un sourire flotta sur mes lèvres alors que Ciel se sentait... offusqué? Trompé? Je n'aurais su le dire avec exactitude. Je sentais juste que cela ne lui plaisait pas que je discute avec Myriam et pire, que je la connaisse. La façon dont il insista sur mon ancien nom en était une preuve flagrante. Et son dédain également. Alala, petit impertinent. Je me demandais pourquoi il éprouvait sans cesse le besoin de se battre ainsi cotnre moi, de me défier, voire de me rappeler que je n'étais que son serviteur après tout. Je ne comprenais pas totalement ce gosse. Les choses auraient pu se passer merveilleusement bien entre nous : une relation courtoise et cordiale. Je ne demandais pas son amour, je n'en avais pas besoin, mais au moins son respect. Dommage qu'il ne soit pas si malléable que sa sœur.

- "Pour toi si et elle le restera."

Hors de question qu'elle l'approche une nouvelle fois. C'était déjà la fois de trop. Et je n'avais pas envie que lui-même cherche à en savoir davantage par son truchement. De toutes façons, vu comment il la regardait, je doutais fort qu'il recherche sa compagnie. Quel poison ce gosse! Heureusement que j'avais une bonne réserve de patience. Je lui fis remarquer alors que je ne m'étais pas toujours appelé Iago, ce à quoi il répondit avec cette arrogance qui le caractérisait. Et ben, j'espérais que c'était juste la crise d'adolescence et que ça passerait d'ici quelques années, parce que bonjour l'enfer. Et voilà qu'il remballait Myriam en lui disant d'aller voir ailleurs. Je lançai un regard narquois à Ciel : serait-il jaloux? Pensait-il que j'avais cessé toute vie en entrant à son service? il allait falloir mettre les points sur les i à ce sujet. Il était hors de question que je cesse mes activités pour ses beaux yeux. Et il pouvait tempêter tant qu'il voulait, je ne cèderais pas. Surtout que si je voulais retrouver l'assassin de ses parents, il fallait que je le lâche de temps en temps. D'ailleurs, à ce sujet, la piste était plus que froide. Et la police n'avait aucune piste. Aucun indice. C'était une affaire délicate.

Myriam préférait que nous parlions de tout cela seul à seule, ce que je concevais, mais Ciel n'apprécia pas du tout que nous le congédions ainsi. Ni que j'use d'ironie avec lui. Et il me le rappela de façon humiliante. Pas comme si je n'avais pas l'habitude au passage. J'adressai un sourire à Myriam. Il fallait prendre Ciel avec doigté et diplomatie, me mettre en colère ne servait à rien.

- "D'accord, on rentre. Mais Wilha doit dormir à l'heure qu'il est. L'histoire, ce sera pour demain soir."

Hum, Myriam devait trouver la scène assez risible. Et penser que c'était bien fait pour moi : je n'avais qu'à pas pactiser avec un enfant. Je devais ressembler à un père harcelé par ses enfants. Une drôle d'image, qui ne m'allait pas du tout. Et pourtant, je racontais très bien les histoires. Et j'aimais voir les yeux brillants de Wilha qui attendait la suite avec impatience. Pour Ciel, c'était plus difficile, je ne savais pas ce qu'il pensait réellement. Wilha m'adorait, mais le jeune homme persistait à se défier de moi et à ne voir en moi que sa créature. Et cela faisait déjà deux ans que j'étais à son service, sans que son point de vue ne change. J'aurais préféré qu'il ne parle pas de sa soeur devant Myriam, mais le mal était fait. Je me levai, non sans m'approcher de Myriam et de l'embrasser sur la commissure des lèvres, en murmurant en grec l'adresse du Manoir. Qu'elle m'y rejoigne un peu plus tard. Je la supposais assez intelligente pour deviner que j'en avais pour un petit moment, mais qu'il était hors de question que j'obéisse jusqu'au bout aux ordres de Ciel. Dés qu'il dormirait, je lui fausserais compagnie. J'avais toute la nuit devant moi. Et lui, il n'était qu'un gamin de 12 ans, complètement crevé malgré ce qu'il affirmait.

- "Allez jeune Maître, ne trainons pas."

Je saluai bien bas Myriam, avant d'entrainer le jeune garçon à ma suite, afin de m'acquitter de mes tâches de nounou.

Multifonction le démon.