« Aaah ! C’est elle, c’est elle ! » s’exclama Karen en se redressant subitement, envoyant valdinguer ses magazines un peu partout dans le ridicule petit salon de leur maisonnette.

Sa frayeur passé, Sam s’autorisa un sourire attendri et l’observa courir vers l’entrée, sa robe légère blanche flottant étrangement autour d’elle. Là où aurait dû se trouver ses belles et longues gambettes naturellement halée, se trouvait un slim en cuir noir qu’elle trouvait très chic, puisqu’elle n’avait pas réussi à se décider entre ses deux tenues. Ça lui donnait une allure étrange mais il n’avait pas trop osé la contrarier et savait qu’elle voulait impressionner l’intruse... Avec ça, c’était certain, elle serait bluffé…

« De quoi j’ai l’air ? »

Samuel sursauta, craignant l’espace d’une seconde que sa petite amie ait perçu le fil de ses pensées. Terminant de rassembler les magazines pour les déposer sur la table basse déjà encombrée, il l’observa de bas en haut puis de haut en bas, se retenant d’éclat de rire devant son air d’animal surpris par des phares…

« T’as l’air d’une folle » la moqua-t-il.
« Et toi t’as l’air d’un grand crétin ! Fais pas cette tête, OK ? »
« Quelle tête ? C’est ma tête normale ça… »
« Non, ça c’est ta tête ‘je n’ai pas envie de faire ça mais je le fais pour te faire plaisir, ce qui ne m’oblige pas à avoir l’air d’aimer ça’ ! C’est cette tête LA que tu fais ! »

Samuel se rembrunit un peu mais se sentit obligé de contrôler son froncement de sourcils et sa moue boudeuse, histoire de ne pas donner raison à Karen… Finalement, agacé par le regard inquisiteur qui pesait des tonnes sur lui, il préféra se détourner et faire mine de remettre un peu d’ordre en vitesse.
Sa petite amie avait bien tenté de rendre l’endroit accueillant, mais on ne rectifiait pas des années d’amoncellement de bordel en quelques jours à peine. D’autant que leurs journées étaient toujours bien remplit et que, ni lui, ni elle, n’étaient des as du ménage… Et c’était un doux euphémisme.

L’endroit était certes chaleureux, doté d’une aura de mystère attrayant et les meubles dépareillés semblaient pourtant s’harmoniser comme par magie, mais pour tout expert, le verdict était sans appel : c’était l’antre de deux bordéliques. Les pièces à vivre avait assurément vécu pas mal d’aventures, ou de mésaventures, selon les points de vue. Le mobilier (anciens en majorité) était passé sous les pinceaux experts de Karen et avait été dotés de couleurs chaudes et de formes tantôt abstraites, tantôt bluffantes de réalisme. Certains meubles et tableaux accrochés aux murs étaient le résultat d’heures de travaux de découpe de catalogues et d’assemblage. Et comme s’ils n’étaient pas assez chargés comme ça, les murs étaient couverts d’essais de croquis signés de la main de Samuel qui cherchait toujours à grossir le catalogue de sa boutique de tatouages. Un beau bordel désorganisé en somme…

Et c’était dans cet univers régit par le chaos (le couple préférait parler de liberté) qu’ils comptaient recevoir la célèbre Kaylee McAllister. La pauvre n’allait pas être déçue du voyage, Samuel en était déjà certain. Une part de lui se sentait gêné et détestait l’idée que lui et Karen allaient être jugés. L’autre avait presque hâte qu’elle découvre leur bazar, histoire de lui faire prendre la fuite.
Clairement, vers venir la médium ici n’était pas son idée et il n’avait accepté de la recevoir que parce qu’il avait été mis au courant très récemment et avait eut droit à quelques compensations dans la chambre à coucher. Il se sentait lésé à présent mais il ne pouvait pas changer d’avis. Et puis Karen avait l’air si contente..

« Bon je lui ouvre ! Fais un effort ! »
« Ouais, ouais » maugréa le jeune homme avec une évidente mauvaise volonté.

Karen lui jeta un dernier regard plein de menaces, du genre qu’elle seule pouvait lui adresser et qui le faisait toujours fondre, puis ouvrit la porte dans une inspiration.

« Bonjour bienvenue on est totalement ravi de vous recevoir entrez donc Madame McAllister, moi c’est Karen Knowles et mon petit ami un peu spécial dont je vous ai parlé pendant notre entretien est juste là avance chéri que la dame puisse te voir ! »

Elle avait tout débité sans vraiment marquer de pause, et le résultat était pour le moins… eh bien c’était tout à fait elle, mais la grande blonde n’était pas encore habitué à ce genre d’accueil sans doute. Samuel espérait juste que sa brune avait prévenue la médium qu’il n’avait pas franchement un physique passe-partout et qu’elle n’aurait pas une crise cardiaque en l’apercevant venir à sa rencontre. Ce serait le comble… En le voyant apparaitre dans la Skyline pour lui présenter ses excuses, elle ne pourrait plus douter de ses dons au moins. Maigre consolation…

Samuel n’avait pas perdu une miette des réactions de son hôte de marque. Il avait trouvé l’idée de Karen à chier dès l’instant où elle lui en avait parlé. Il détestait qu’elle regarde le show de Miss McAllister et s’arrangeait toujours pour s’organiser une sortie ces soirs là et ne pas avoir à regarder l’émission avec sa petite amie. Mais la plupart du temps, il échouait lamentablement… Il n’avait jamais vraiment eu beaucoup de volonté face au sourire angélique de sa brunette.
A cet instant précis cela dit, au moment où la grande blonde à la tenue impeccable et visage maquillé juste ce qu’il fallait passait le pas de sa porte, il aurait souhaité avoir fait preuve de plus de fermeté. Toute cette histoire sentait mauvais. Surement aussi mauvais que l’odeur de tabac froid et de peinture qui flottait dans l’air de son foyer.

Samuel aurait voulu être capable de sourire poliment, mais tout ce qu’il était capable de faire, c’était fixé l’intruse qui pénétrait chez lui sans y avoir été invitée. Enfin si…Karen l’avait invitée. Cette dernière ne semblait plus savoir quoi faire d’elle-même et Sam la voyait s’exciter dans le dos de la médium, certainement partagée entre l’envie de se faire signer un autographe, de lui proposer à boire, de l’inviter à venir s’asseoir au salon, de prendre une photo avec elle et de lui expliquer à quel point elle était fan de son travail.
Le jeune homme se sentait un peu coupable de jouer les rabats joie alors qu’au fond, sa petite amie faisait ça pour lui, mais c’était plus fort que lui. Deux médiums sous son toit, s’en était un de trop…

« J’m’appelle Samuel. Morrow. Appelez-moi Sam » finit-il par lâcher en essayant de ne pas arborer un ton trop morne ou d’avoir l’air totalement désabusé.

Il fit même l’effort de s’avancer vers la grande blonde pour tendre une main couverte de tatouage dans sa direction. Il la vit baisser les yeux et l’espace d’une seconde, hésiter. Il faillit lui signaler que sa main était proche et les tatouage non contagieux, mais elle avait finit par glisser sa main manucurée dans la sienne pour la lui serrer un instant, sans se dépeindre de son sourire pour pub de dentifrice.

« Asseyez-vous ! » proposa karen en frappant dans ses mains avant de venir les rejoindre, se retenant visiblement de sautiller… « On a de la limonade bien fraiche au frigo si ça vous tente ! C’est moi qui l’ai fait ! …Enfin sinon on a aussi du café, du thé à la menthe, au miel, des tisanes. Je fais toute sorte de tisanes, j’aime ça. Oh si vous préférez on a des bières. Samuel aime la bière, on en a toujours en stock. Et puis on a du vin. Vous voulez un verre de vin ? »

Samuel adressa un petit regard courroucé à Karen. Elle était impressionnée et il pouvait le comprendre, mais il détestait la voir se ridiculiser de la sorte. Pas parce qu’il avait honte d’elle, jamais de la vie, mais parce qu’il craignait que leur invité ne la juge mal et ne la prenne pour une attardé ou une groupie hystérique.

« En fait…Karen c’est pas ma femme, juste ma copine »

Ce fut tout ce qu’il trouva à répondre dans un premier temps. C’était ridicule, mais il n’avait pas voulu se lancer directement dans le vif du sujet comme venait de le faire Miss Perfection ici présente. Même si croiser un autre médium de sa trempe était apparemment nouveau pour elle, la jeune femme était plus à l’aise avec toutes ces choses là et aborder le sujet de ses capacités ne semblait pas la gêner. Samuel, pour sa part, n’était pas très à l’aise avec tout cela.
Pour sa défense, les premières fois qu’il avait abordé ce sujet avec sa famille, celle-ci lui avait tournée le dos, lassé de l’entendre remuer le couteau de la plaie en soutenant avoir retrouvé ses frères et son père décédés, dans un endroit très étrange. Un endroit finalement similaire au leur, dans lequel il pouvait pénétrer uniquement lorsqu’il était assoupi et seul, malheureusement.
Sa propre mère l’avait traité de fou et l’avait frappé tout le chemin menant vers la sortie de son ridicule petit appartement, en lui hurlant qu’il était un monstre de la torturer ainsi et qu’elle ne voulait plus jamais le revoir.

Il lui avait fallut un bon moment pour s’en remettre et Samuel n’avait plus osé parler de ça à qui que ce soit d’autre. A part Karen bien sûr, mais elle avait grandi avec lui et connaissait les raisons de sa brouille avec sa famille, ou du moins ce qu’il en restait. Elle avait été la seule à le croire immédiatement, à le soutenir et à chercher à comprendre ce qui lui arrivait.
Une part du jeune homme soupçonnait qu’elle se soit penchée sur la question uniquement parce que, déjà à l’époque, elle avait le béguin pour lui et était prête à fermer les yeux sur ses bizarreries tant qu’ils pouvaient passer du temps rien que tous les deux. Mais la plupart du temps, il se figurait simplement qu’elle était intéressée par toutes ces histoires de revenants et de vie après la mort, tout bonnement…

Le jeune homme posa son regard cerclé de noir sur le décor, mal à l’aise, puis reporta son attention sur son hôte. Elle était dans l’expectative visiblement, et tout aussi gênée que lui. Un peu plus sans doute puisque Kaylee était en territoire inconnu présentement.
Samuel se décida donc à prendre son courage à deux mains et reprit la parole.

« Vous êtes la première que j’rencontre aussi moi aussi. Karen suit votre show depuis un moment mais…pour être honnête, j’pensais que vous étiez une de ces charlatans qui s’improvisent médium et exploitent la souffrance des gens » avoua le tatoueur « J’ai jamais vraiment regardé ce que vous faisiez mais elle m’a dit qu’il y avait…des similitudes avec ce dont je lui parlais moi-même. Des endroits que j’avais fréquentés dans…enfin vous savez…’là-bas’… » conclut évasivement Samuel