La vieille maison de la tante de sa mère n'était pas en très mauvais état, mais avait bien besoin de quelques travaux, histoire de la rendre plus confortable. Aaron s'y était installé depuis quelques jours et commençait, petit à petit, à la nettoyer et à trier les objets qui l'intéressaient et ceux qui ne l'intéressaient pas. Néanmoins, la maison était plutôt grande, donc ce n'était pas encore fini, loin de là même... Et même si le travail ne lui avait jamais fait peur, l'Anglais était un peu fatigué. Ce fichu décalage horaire, sans doute... Il était onze heures trente lorsque le jeune homme décida d'aller se coucher. Demain il finirait tout ça, parce que là, le sommeil pesait lourd sur ses paupières. Aaron monta alors à l'étage et entra dans sa chambre, qui avait déjà été nettoyée et aérée. Le Britannique se coucha et, rapidement, il s'endormit. Il était tellement crevé qu'il ne rêverait pas cette nuit, s'était-il dit... Il avait tort.

Il se retrouvait dans une forêt. Un endroit plutôt agréable, d'ailleurs. Aaron regarda autour de lui et leva ses yeux bleus vers le ciel, tout aussi bleu. Il faisait beau, le soleil brillait dans le ciel et les oiseaux chantaient allègrement. Aaron se sentait réellement bien à présent. Tellement détendu et... libre. Pour quelqu'un qui avait été privé de liberté pendant quatre ans, c'était une sensation incroyablement intense, vraiment. Si, normalement, penser à cette période sombre de sa vie le faisait souffrir, là, ce n'était pas vraiment le cas. Au contraire, cela lui permettait de mesurer la chance qu'il avait d'être là, dans cette forêt. Libre.

L'Anglais continuait de marcher, regardant toujours autour de lui. Aaron était devenu méfiant, voire paranoïaque, depuis son séjour en prison. C'était plus fort que lui, tout simplement. Il devait toujours rester attentif, faire attention à tout ce qui l'entourait, afin d'éviter toute mauvaise surprise. Avançant toujours, le brun finit par remarquer un puits, ce qui attira son attention et attisa sa curiosité. Cependant, il se sentait observé. Une fois de plus, il regarda autour de lui. Personne. Son cœur s'accéléra. Il avait terriblement envie de s'approcher davantage du puits, mais il savait que quelqu'un était là, pas très loin de lui. Son regard se posa de nouveau sur le puits, mais il entendit un bruit de pas, qui le fit se retourner vivement. Il ne s'était pas trompé : il y avait bel et bien quelqu'un dans les parages. Le Britannique lança un regard méfiant à l'homme.

« Qu'est-ce que vous faîtes là ? Vous me suivez ? »

Aaron espérait que ce type ne lui apporterait pas d’ennuis. A vrai dire, l’Anglais ne se sentait en sécurité que quand il était seul.

Et encore...

Natan n’avait toujours pas pris la peine de retourner dans le monde des rêves depuis son retour. Il avait mis cela sur le compte du mariage, du travail, de la campagne mais le fait était que ce n’était qu’une façade et qu’il voulait s’en convaincre lui-même. Quelque chose l’empêchait d’y retourner, ou plutôt, il appréhendait d’y retourner à cause de ce quelque chose. Quoi ? Il n’aurait su vraiment le dire. C’était ainsi. Il doutait que ce fut à cause de Jack… en un sens. Mais lorsqu’il y réfléchissait, il doutait que ce fut à cause de Thomas ou d’une autre personne. C’était un climat général, qu’il sentait hostile et dangereux. Il avait comme une impression qu’à force de jouer avec le feu, il finirait par se brûler. Il n’avait pas l’intention de rester coincé là-bas. Peut-être que la différence résidait là : à présent, avec Mei, il ne se fichait plus des conséquences. Rester piégé lui faisait peur, alors qu’avant, il le voulait presque. Alors il passait cette heure à la cuisine du manoir, lorsque tout le monde dormait profondément confondant leur seule minute de rêveurs avec l’heure entière des gens comme Natan. C’était son heure, il l’employait à boire un thé, lire un journal ou La démocratie de Tocqueville, il jouait également aux échecs avec lui-même et tentait de s’améliorer. Intérieurement, il luttait contre cette envie qui le démangeait d’aller voir ce qu’il se passait là-bas. Et s’il croisait Mei ? Qu’allait-il lui dire ? Il ne la croyait même pas au courant de tout cela.

Nuit après nuit, il s’occupait avec ferveur, jusqu’à ce que vienne le moment où il céda à la tentation. Au fond, il n’avait pas vraiment changé, le danger l’effrayait à présent, mais il l’excitait toujours également. La surprise et la satisfaction de tomber sur un inconnu à travers ses rêves, même s’il y avait peu d’inconnu à Kuyden à présent. Natan se glissa dans la faille et plongea dans ce couloir aux milles portes qui l’accueillait à chaque fois qu’il mettait les pieds dans cet univers. Il se taisait, il écoutait les bruits qui s’échappaient des portes, et il s’arrêta devant celle qui était silencieuse. La main sur la poignée, il l’actionna et se retrouva immédiatement dans une clairière en plein jour, des oiseaux gazouillaient, l’herbe était verte, la forêt autour dense. Après une observation plus minutieuse, il aperçut un jeune homme qu’il ne connaissait pas. Tiens. Il s’en était passé des choses depuis son départ de la ville trois mois plus tôt. Le puits, un rêve récurent chez les habitants de Kuyden trônait au milieu, attirant et inquiétant à la fois. Natan avait toujours imaginé que l’eau de ce puits pouvait réaliser les souhaits, il ne l’avait pourtant jamais tenté, cela n’avait jamais était sa tasse de thé ce genre de chose. Pourtant, ce soir, il espérait que l’individu lui fasse découvrir à quoi cette construction pouvait servir.

Il s’approcha donc de lui. S’il avait voulu avoir l’effet de surprise, c’était raté. Le jeune homme se retourna immédiatement vers lui, méfiant et agressif en lui demandant ce qu’il faisait là. Natan leva les yeux au ciel. Charmante cette entrée en matière. Il inspira, reprenant le calme qui avait failli lui échapper et qui lui aurait échappé quelques mois auparavant. « Du calme, je ne suis pas là pour vous faire du mal… enfin… sauf si vous m’obligez à le faire. » Il jeta un coup d’œil vers le puits avant de regarder à nouveau le jeune homme. Il avait eu cet accent anglais qu’il connaissait bien et il sourit légèrement en se rappelant les bonnes années qu’il avait passé à Oxford. « A vrai dire, j’ai toujours été intrigué par ce puits. J’ai pensé que vous pourriez sûrement m’éclairer quant à son utilité puisque vous êtes ici. Pour ma part, j’ai toujours cru que l’eau en était magique et qu’elle pouvait réaliser les souhaits que l’on fait. Je me trompe peut-être cela dit… » Et il s’approcha du bord pour regarder par-dessus et voir s’il apercevait l’eau ou un scintillement quelconque qui aurait pu faire croire à la présence de la magie. Mais rien. Evidement. L’esprit matérialiste et manipulateur de Natan ne croyait pas à la magie et n’y croirait sans doute jamais. Jack n’était pas magique. Il était un cauchemar et il y avait un immense fossé entre ces deux idées.