Journal intime de Marilyn Walker. 28 août 1966.

« Kuyden, Wyoming. Bienvenue à Nowhereland ! Ici, vous aurez l'occasion de vous amuser au beau milieu des vaches et des chevaux, sans parler de l'unique pompe à essence, de la boulangerie, de l'école et... C'est à peu près tout, en fait. Papa prétend que c'est une ville pleine d'avenir, où je ferais de très belles rencontres. Tu parles ! Nous sommes arrivés dans la matinée, je voudrais déjà repartir, loin d'ici. Quelque part où je puisse vivre mes rêves... »


Journal intime de Marilyn Walker. 30 août 1966.

« Cette ville ne me réussit décidément vraiment pas. Durant les deux nuits qui viennent de s'écouler, j'ai fait un rêve étrange. J'ai rêvé que le temps s'arrêtait brusquement, à un tel point que cela me tirait inévitablement du lit. Tout était devenu bleu, immobile. La Terre s'est remise à tourner au bout de plusieurs dizaines de minutes, alors je me suis rendormie. C'est tout. Il faut vraiment que je me méfie de l'eau du robinet, on m'a dit qu'elle faisait faire des rêves étranges... »


Journal intime de Marilyn Walker. 31 août 1966.

« J'ai encore fait ce rêve. Tout était à nouveau devenu bleu, sauf que contrairement à celui de hier, j'ai trouvé le courage de sortir. Le temps de me faufiler par la fenêtre, j'étais dehors. En approchant de la maison des voisins, pouf, je me suis retrouvée absorbée dans une sorte de trou imaginaire immense, jusqu'à atterrir au milieu des bois. Pourtant, il n'y a pas de forêt aux alentours de Kuyden ! Enfin bref. Avec mon sens de l'orientation, j'ai bien évidemment fini par me perdre. Alors j'ai avancé sans trop savoir où j'allais, jusqu'à trouver une petite porte entre deux arbres. De l'autre côté de celle-ci, je suis tombée sur une sorte de musée dans lequel n'était présente qu'une seule personne. Il s'agissait d'un garçon, celui qui habite au bout de la rue : Thomas, il me semble. Il m'a demandé, surpris, ce que je faisais là, et puis tout a brutalement disparu. La Terre s'est remise à tourner, je n'avais pas bougé du milieu de la rue, alors dans ce même rêve, je suis retournée me coucher comme si de rien était.

Un rêve un peu trop réaliste à mon goût... Comment expliquer la terre et les feuilles restées accrochés au bas de mon pyjama ? Suis-je devenue somnambule ? »


Journal intime de Marilyn Walker. 14 septembre 1966.

« Et si ce n'était pas un rêve ? Et si Thomas et Amanda avaient raison ? Et si une journée durait vingt-cinq heures, et non pas vingt-quatre ? Et si nous n'étions qu'une toute petite minorité à avoir l'honneur de la vivre, tandis que tous les autres la traversent uniquement grâce à leur subconscient et pensent rêver ? Et si, en naissant à minuit pile, en vivant dans cette petite ville si particulière, nous pouvions pénétrer à l'intérieur du monde des rêves, parallèle au nôtre ? 

J'aime penser que l'impossible devient possible. Qui sait ? Habiter à Nowhereland ne semble peut-être plus tellement ennuyeux. »


Journal intime de Marilyn Walker. 30 octobre 1966.

« Minuit, la vingt-cinquième heure, le monde des rêves, l'heure bleue - appelons-ceci comme on veut – ne tourne plus très rond, ces derniers temps. Depuis plusieurs nuits, se frayer un passage entre le rêve et la réalité devient plus compliqué. Et si un jour, toutes les portes se referment ? Qu'est-ce qu'il se passera ? Thomas prétend que minuit a déjà fait des siennes auparavant mais qu'il n'y a eu aucun incident notable. J'espère simplement qu'il a raison. »


Extrait de journal daté du 02 novembre 1966.

Portés disparus : Thomas Ramirez, dix-sept ans ; Marilyn Walker, seize ans, Amanda Jefferson, seize ans. Si vous avez des informations à ce sujet, merci de contacter le [...]

La routine paisible de Nowhereland semblait immuable. Les petites affaires tournaient, les saisons assouvissaient les regards de milles couleurs et le bonheur avait trouvé sa demeure dans la ville. Les habitants de Nowhereland pensaient avoir trouvé leur petit coin de paradis, et cette opinion était indiscutable.

Cette évidence devint moins catégorique en ce mois de septembre. En effet, alors que le Maire, élu depuis maintenant plus d'un an, se démenait inlassablement pour faire parvenir une équipe pour découvrir le reste mystérieux de la forêt de Nowhereland, le résultat de l'enquête ramena plus la police que les bonnes nouvelles. Le Maire n'a pas pu garder la vérité sous silence bien longtemps : l'équipe engagée pour la découverte de la partie interdite de la forêt a été portée disparue. Une enquête policière a été ouverte et les habitants de Nowhereland tremblent. Comment dix hommes équipés ont-ils pu disparaître si mystérieusement ? Tout simplement... Partir et, sans aucune trace... Se volatiliser ?

Le terrain a été évidement interdit et les habitants de la ville sont priés de ne regarder la forêt de Nowhereland que de loin. Les interrogatoires de la police et sa simple présence plonge la ville dans un frisson d'incompréhension générale, et personne ne souhaite leur donner de réponses.

Les spéculations, quant à elles, sont plus fidèles que jamais. Quelqu'un aurait entendu la police parler d'un meurtrier : un corps aurait-il été retrouvé ? Le Maire rassure les habitants sans trop y croire lui-même : "Les habitants de Nowhereland n'ont rien à craindre" a t-il déclaré publiquement à la presse "ils sont en sécurité dans la ville. Nous y prenons soin. Vous pouvez dormir sans craintes."

Au loin, une ombre ricane, et les Midnighters sentent curieusement leurs nuits menacées.

Mercredi 31 octobre 2012. Tout Kuyden, réunit pour une petite fête d'Halloween, s'évanouit brusquement. La plupart des habitants de la ville, les Dreamers, ont soulevé plusieurs hypothèses sans parvenir à trouver une explication plausible à cet assoupissement soudain. Quoiqu'il en soit, tous pensent qu'il ne s'agissait que d'un mauvais rêve.

Les choses sont, pour les Midnighters, beaucoup plus graves. Comment ont-ils pu se retrouver dans le Monde des Rêves avant Minuit ? La réalité leur apparaît soudainement, brutale : ils ne sont que des pantins, tous. Les mots de Monsieur Jack, qui pour la première fois, a démontré qu'il n'était pas une légende mais bel et bien réel, résonnent :

« Je suis Monsieur Jack. Et je viens pour mettre certaines choses au clair... Je ne vous ordonne encore rien. Je vais simplement vous avertir, ou mieux... Restons courtois. Je vais vous donner un conseil. En bon ami. Car nous sommes tous amis, ici, n'est-ce pas ? Laissez aux rêves ce qui appartient aux rêves. Vous n'êtes pas chez vous. Rien de ce qui est ici ne vous appartient. N'oubliez pas ce que je vais vous dire : Tout a un prix. Je vous ai tous sauvé. Cela aura un prix, également... Je ne donne jamais rien sans rien. Le monde ne marche pas comme ça. C'est ce qu'on appelle l'équilibre, et il est plus présent que jamais, ici. »

Jack a disparu sans donner de détails supplémentaires. Alors qu'à Nowhereland, la vie reprend lentement, les Midnighters sentent chaque nuit un peu plus une menace planer sur eux. Quel sera le prix à payer pour ces Enfants de Minuit un peu trop joueurs ? Qu'adviendra-t-il de Mads-Matthew Smith qui semble, ce soir d'Halloween, s'être volatilisé ?

Minuit montre peu à peu son vrai visage. Fuyez, le spectacle va commencer.


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