Stuck in his little toy box

Never avait quelque chose dans son bec.

Il n'était pas rare que mon fidèle compagnon vienne me tirer de ma rêverie. Et par rêverie j'entendais par là ces grands moments où le seul bruit que l'on entendait dans la bibliothèque était l'infernal cliquetis produit par Hermès, ma machine à écrire. Nous dansions, Hermès et moi, peu importe la neige, peu importe qu'il pleuve ou qu'il y ait une tempête, nous nous étions engagés à finir cette valse, à trouver notre danube bleu et ne jamais le laisser partir. En trois temps s'il vous plaît, je frappe, il exécute, et alors... Le mot apparaît. Écrire est quelque chose de terriblement beau et frustrant. Mais Hermès est un compagnon aussi fidèle que Never et il ne manque jamais d'encre et moi jamais d'idées, cadeau de Jack bien évidemment. Une autre bizarrerie du monde des rêves, je sais, mais les bizarreries, il semble que Jack les collectionne, entre son chat qui sourit trop, son Joker qui n'a pas assez de cicatrices et son blondinet et sa couronne de ronces, je dois bien être le seul qui paraît normal au milieu de toute cette collection de jouets. Je m'égare encore, désolé pour ceux qui liront mes mémoires, j'ai tendance à faire ça... Annoying isn't it? Never vient de m'interrompre, de me déranger en plein milieu d'une phrase, chose qu'il ne fait que rarement. Oh oui, Never est poli, très bien élevé, il sait où est sa place et tient à être discret plus que tout, il ne croasse que très rarement, tellement que je suis toujours surpris lorsqu'il le fait. Avant de me souvenir que c'est normal de la part d'un oiseau. Oh Never, Never, Never... Il est venu se poser sur mon épaule quand je me suis réveillé dans ce monde, c'est lui qui m'a guidé vers ce qui est devenue l'Académie à présent, je crois très sincèrement qu'il m'attendait. Peut être qu'il est parti demander un voeu à Jack également sauf qu'au lieu d'exiger des vers, il lui a demandé un humain.

"Qu'est-ce que tu veux?"

Je lui posai la question en m'appuyant sur le dossier de ma chaise, fixant ses yeux noirs. Il vole le petit, il vole et se pose sur Hermès, presque en abimant la page qui s'y trouve. Je ne bronche pas car je pourrais toujours la récupérer plus tard. Il ouvre son bec et laisse tomber quelque chose avant de venir se poser sur mon épaule.

"On joue aux devinettes aujourd'hui Never? Je vais finir par croire qu'Icare a raison à ton sujet."

L'oiseau fronce les sourcils, oui, avant de reporter son attention sur Hermès. Parfait, il faut donc que je regarde. Je pousse un soupir, avant d'essuyer mes lunettes. Un geste stupide, je porte la monture, ronde et noire sur le nez, mais il n'y a pas de verres, le tout est complètement vide. C'est Never encore qui m'a ramené cette trouvaille et oui, je fais tout pour lui faire plaisir. Et aujourd'hui alors? Une carte. Il m'a ramené une carte. Le sept de piques pour être plus précis. Ça ne vient pas d'ici, ici il n'y a que des livres et de la poussière.

"Où est-ce que tu as trouvé ça?"

La question quitte mes lèvres et Never s'envole. J'enfile rapidement ma veste avant de le suivre. Je porte toujours le seul costume qui m'appartiens depuis ma brève entrevue avec Icare et je dois presque avoir l'air d'un homme respectable, si ce n'était pas pour les traces d'encre sur ma chemise ou même les trous dans mon pantalon. Mais pas le temps de s'arrêter sur ces détails. Je suivis donc ce cher Never. Nous quittâmes mon monde, puis celui des rêves et j'eus un frisson en franchissant la frontière vers les cauchemars, j'avais toujours la carte en main, presque comme un bouclier. Never finit par s'arrêter de voler au moment où j'aperçus une première carte. Géante, le deux de coeur, beaucoup plus grande que moi. J'enfouis mes mains dans mes poches alors que Never se réfugiait dans ma chevelure. J'avançai et j'eus le souffle coupé face au château de cartes. Plutôt un cimetière de cartes. Inquiétant et menaçant.

"Never... Je crois que la carte était une invitation... Mais à quoi? Peut être que nous devrions partir."

L'oiseau poussa alors un cri strident qui me fit grimacer et je le sentis même tirer sur mes cheveux. Non? Très bien compagnon de malheur, nous ne partons pas alors. J'espère bien que je ne suis pas le seul à avoir été convié à la petite fête. Juste au moment où je songeais à cela, j'entendis des bruits de pas venir de ma droite.

Moi j'ai eu le sept de piques... et vous?

Spoiler:

 

warning : on va se servir des dès.  

Lovelie s'entraînait avec sérieux à créer des bulles de savon parfaite. Il fallait le souffle juste et la main ferme sur la baguette qui se terminait en cercle. Ne pas souffler trop fort pour pouvoir faire la bulle suffisamment grande, mais juger de la taille optimale pour qu'elle tienne le plus longtemps possible. Elle écarta la baguette quelques secondes de devant son visage pour admirer son travail, un léger sourire aux lèvres. Elles étaient belles.

A l'instant même, la jeune femme se trouvait sur une pile de livres ressemblant à une tour de Babel miniature. La tour elle-même se trouvait dans une chambre de jeune fille. Le rêve d'une enfant blonde qui dormait à ses côtés après que Lovelie lui ait raconté deux contes pour la faire dormir. Elle profitait à présent de l'instant, seule en compagnie des bulles et des légers ronflements de l'enfant. Il était commun qu'elle fréquente les rêves des autres. Elle se lassait trop vite seule et souffrait de la solitude plus que toutes autres choses. Récemment personne ne venait la voir. Tout le monde avait disparu comme si quelque chose de terrible était advenue de l'autre côté. Sans doute était-ce le cas, car la réalité était cruelle et elle-même le savait bien. Quoi qu'il en soit elle se sentait seule et elle en voulait à tout le monde de l'avoir abandonné ici à s'occuper qu'en allant de rêve en rêve.

Alors, quand un petit chat blanc apparut de sous le lit, Lovelie posa les bulles sur les côtés et regarda l'animal venir vers elle, enchantée. Il monta la tour de livres avec assurance avant de se percher sur ses genoux. Ses griffes s'enfoncèrent dans la jupe aux carreaux multicolores. Heureusement qu'elle était bouffante pour épargner la peau en dessous. Dans sa gueule, l'animal tenait une carte à jouer que Lovelie lui prit délicatement tout en caressant de son autre main le poil soyeux. Elle retourna lentement la carte et observa le chiffre affiché avec un délicat sourcil relevé. C'était une étrange lettre qu'elle venait de recevoir. D'un air absent, elle caressait toujours le chat réfléchissant à ce que cela pouvait bien être. « Ce monde a une passion pour les énigmes, n'es-tu pas d'accord ? » Un ronronnement lui répondit avant que l'animal ne saute de la tour et ne tourne autour d'elle comme dans l'attente que Lovelie fasse de même et ne le suive. Tu es mon guide, petit ?, se demanda-t-elle pour elle-même, pensive. Elle sauta donc de sa pile de livre et remit ses petits talons rouges avant de jeter un coup d'oeil dans le miroir d'une armoire. Elle réarrangea ses cheveux avant de poser un baiser sur le front de l'enfant toujours endormie. « Merci pour l'accueil jeune demoiselle. »

L'animal finit par s'éclipser du rêve et Lovelie le suivit de près. Des fois, il tournait entre ses jambes avant de continuer sa route comme pour s'assurer qu'elle ne se perdait pas. Elle n'observa aucun des rêves et cauchemars qu'elle traversa. Elle savait que si elle croyait le regard de quelqu'un, elle risquerait de vouloir rester avec. Non, de sa main droite elle tenait la carte, de l'autre sa jupe quand il fallait enjamber une branche d'un arbre obscure ou un petit pont sur un cours d'eau agréable. La jeune femme trouva la balade agréable. Bien plus encore, car son compagnon à quatre pattes était suffisamment poli pour revenir la voir régulièrement, pour se perdre dans ses jambes, ronronner et lui miauler son encouragement. Elle eut un léger rire alors que l'animal faisait quelques bonds en avant comme pour la faire accélérer.

Elle redevint silencieuse alors que devant elle, elle remarqua en tout premier temps un château de cartes. Des cartes de partout, bien plus grande que la toute petite qu'elle avait en main. Ce n'est qu'au bout de quelques secondes alors qu'elle ne s'était pas arrêtée de marcher qu'elle aperçut un homme en avant d'elle. Un homme et son corbeau. De suite l'image devant elle lui permit de savoir de qui il s'agissait. Ce jeune homme, elle savait qu'il existait. C'était un peu un poète ou un écrivain...Enfin un homme de lettre. Un intellectuel on pourrait peut-être dire. Bref, elle savait un peu qui était ce solitaire et son oiseau, car elle avait une idée sur la majorité des piégés des rêves. C'était sa façon de faire après tout. Être joviale suffisamment pour connaître tous. Mais elle ne pouvait pas dire qu'elle le connaissait plus que superficiellement. Même dans un monde aussi petit que les rêves et les cauchemars il était possible de ne pas tant se croiser. Pour autant, elle n'était pas intimidée.

Elle fit un sourire à l'homme tandis que le chat miaulait dans ses jambes avant de s'enfuir. Avait-il eu peur du corbeau, des cartes ou de ce cauchemar-là ? Quoi qu'il en soit, elle le regarda détaler avant d'arriver à hauteur du jeune homme. Il portait un costume un petit peu abîmé à certains endroits, mais qui lui donnait un air peu menaçant. Il faisait un duo un peu étrange. Elle portait elle-même une jupe gonflante de toutes les couleurs par-dessus une chemise blanche fine et vaporeuse. Ses talons rouges claquaient sur le sol à chaque pas qu'elle faisait et en quelques pas, elle était à la hauteur du jeune homme, levant sa carte après avoir aperçu qu'il en avait une à la main aussi. «  Je suis un cinq de cœur. Qu'est-ce que cela veut dire ? » Demanda-t-elle plus joyeusement qu'elle ne l'aurait dû dans un tel univers. Mais elle était contente d'avoir un compagnon. Quelqu'un qu'elle ne connaissait pas beaucoup ce qui lui permettrait de le découvrir. Elle aimait découvrir les gens.

Un cimetière. Voilà où j'avais l'impression d'être. Un cimetière de cartes, une hécatombe après une partie ratée, une mauvaise blague, un mauvais rêve. Est-ce que la mort venait dans des lieux tels que celui-ci? Probablement, car Never ne voulait pas me laisser partir, et il était bien connu que l'ange de la mort adorait s'encombrer de bêtes en tout genre comme Never. Non, pas le mien, Never est bien différent de ses congénères et si après que l'ange de malheur ait planté sa fourche, d'un coup brutal et sec, dans mon coeur palpitant, l'oiseau aura le droit de dévorer mes yeux. Mais parce que c'est un animal qui s'est montré digne et fidèle et que je l'autorise à se servir comme il peut. Que mon corps devienne son garde manger, je n'en serais que plus honoré. Mais je ne comprends pas, Never je ne comprends pas, pourquoi souhaites-tu que je reste? Une âme plus sensible que la mienne aurait été déroutée par le spectacle qu'offrait les cartes de taille quasi-humaine, quasi car il y avait définitivement quelque chose de fantastique et d'époustouflant face à ce jeu-là, cependant, je me contentai d'être perplexe. J'avais reçu une carte et j'avais été guidé ici par mon fidèle familier et je savais que Never avait ses raisons. Probablement pas bonnes mais... Tout ce que l'oiseau faisait avait un but, j'étais certain de cela. Et il ne m'aurait jamais guidé ici, s'il savait que je devais affronter quelque chose seul.

Cependant, je ne suis pas seul, n'est-ce pas? Une princesse arrive, non plutôt une reine, surtout quand on voit la grâce avec laquelle elle se déplace. Je suis beaucoup trop subjugué et déjà sous le charme pour me souvenir que je suis timide en présence d'une femme et que j'ai tendance à rougir. Est-ce une femme, est-ce une illusion, juste un mirage, un tas de cendre et de fumée habilement décoré pour que je sois contraint de l'écouter et de faire tout ce qu'elle me dira? Bonne question. Pourtant j'étais certain qu'elle était réelle, enfin, tout comme moi, du moins, aussi réel que je pouvais l'être. Nous formions un drôle de tableau, moi tellement austère, noir et silencieux, surtout avec mon corbeau perché sur ma tête et elle qui semblait briller de toutes les couleurs, et encore plus lorsqu'elle s'adressa à moi sur un ton qui n'avait rien de menaçant, me montrant sa carte. Oh je ne suis donc pas le seul à avoir reçu cet étrange cadeau? "Et moi le sept de piques."J'annonce tout simplement en lui montrant ma carte avant d'habilement la donner à Never, l'animal la coinçant dans son bec, toujours là haut, toujours bien niché. Mes mains trouvent mes poches et je fixe un instant mes pieds avant de nouveau la contempler. Elle est jolie, je sais, c'est un pauvre constat, encore plus pauvre quand on sait que je passe mes journées à écrire et que je ne suis pas censé être à court d'inspiration. Jamais, tel est le marché que j'ai passé avec Jack et peut être que c'est une bénédiction, peut être que c'est une malédiction, je ne sors que très rarement de ma bibliothèque, je ne sais pas comment et de quoi sont fait les rêves des autres, cela ne m'a jamais vraiment intéressé en fait... Jusqu'à aujourd'hui. J'aurais bien voulu savoir de quel coin de l'univers de Jack une créature comme elle pouvait donc provenir.  "Je n'en sais rien mademoiselle et j'ai l'impression que vous venez de loin pas vrai?"

J'avais dit cela pour répondre à la deuxième partie de sa phrase et ma curiosité avait évidemment repris le dessus. Ce n'était guère le moment pour les questions, je ne voulais pas paraître impoli et l'atmosphère ne s'y prêtait guère. Comme pour me le prouver, un coup de vent se fraya un chemin dans l'air, dérangeant les pans de son costume de fortune. Je déglutis, l'étau se resserre et si je peux le ressentir, alors elle aussi. "Tout ceci m'a l'air d'être un piège très bien élaboré si vous voulez mon avis et si j'étais un gentleman, je vous offrirai certainement mon bras pour que nous partions en courant mais..." Je ne pus terminer ma phrase car le vent était de plus en plus fort trop fort, la jupe de la jeune femme bougeant furieusement et même Never s'était mis à pousser des cris au dessus de mon crâne. Sans aucune hésitation, j'attrapai la main libre de l'inconnue et tous deux, nous observâmes les cartes, gigantesques, qui se mirent à bouger, comme remuées par une force invisible.

"Partir en courant?"

Ce n'était pas moi qui venait de parler, ni même ma toute nouvelle camarade. Non, aucun de nous deux ne possédait une voix glaciale et sourde comme celle qui venait de s'élever.

"Êtes vous donc lâche à ce point là Monsieur Hamilton? Comptez vous sur Mrs Doherty pour se battre à votre place? Je vous savais impuissant mais pas dans ce domaine là également. Non, vous avez tous les deux reçu mon invitation pas vrai?"

La carte. Évidemment que c'était la carte, oh Never, pourquoi fallait-il que tu me ramènes ce genre de message là? Pas de doute, après cela, je ne sortirai plus jamais de ma bibliothèque. Je regardai, dépité,  les cartes s'avancer vers la jeune femme et moi-même,  des trèfles nous entourant de part en part, bloquant le passage, juste des numéros et pas de visage, juste des numéros.

"Eh bien le jeu est simple mes chers joueurs... Devant vous se dresse ma demeure. Le premier qui trouve la carte correspondante à celle qu'il a dans la main gagne la partie. Et l'autre se fera tout simplement ...."

Je ne bouge plus, si ce n'est pour la main qui est dans la mienne, ou même Never et ses cris strident, je ne me sens même plus vivant et je ne reviens à moi seulement lorsqu'une des cartes, brise le cercle et se jette sur moi.

Est-ce que Zephyr va réussir à esquiver le vilain dix de trèfles qui se jette sur lui. ?
Oui Oui - Zephyr est un ninja et il s'écarte à temps, et entraîne Lovelie avec lui vers l'issue disponible et ils se mettent à courir.
Oui - Non - Zephyr évite la carte mais il lâche la main de Lovelie.
Non - Non - Zephyr est vraiment pas doué, il se fait plaque au sol par une carte et Lovelie disparaît de son champ de vision.

"Décapité." termina la voix alors que tout simplement nous nous mettions à courir. Mais où? "Oh ... et...faites attention... mes très chers petits mordent." Il faut que nous nous prêtions au jeu dans l'espoir de tout arrêter, cependant autour de nous les autres cartes se mettaient elle aussi en marche, toute ayant pour objectif de nous ralentir.

Jouer ou périr? Quelle douce ironie vraiment.

L'homme devant Lovelie semblait appartenir à ceux timides et discrets. Un joli garçon avec un corbeau comme compagnon : digne d'un roman. Lovelie aimait l'idée. Il avait l'allure d'un héros de roman pour jeunes adultes sans doute et elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger. Pourquoi ne le connaissait-elle pas ? Où se cachait-il donc d'ordinaire ? Elle voguait tellement souvent d'univers en univers qu'elle s'étonnait de ne l'avoir jamais croisé et ne pouvait s'empêcher d'imaginer quelle sorte de création il occupait. Elle se vantait régulièrement de connaitre tous ceux du monde des rêves...du moins ceux qu'elle considérait fréquentable. Certains, il suffisait qu'elle les voie pour vouloir les oublier. Mais ce n'était pas le sujet. Le sujet était ce garçon comme provenant d'un film en noir et blanc et elle avait qu'il devienne son ami. Mais concentrons-nous. Il était apparemment un sept de pique. Lovelie cligna des yeux en observant la carte entre les mains de son nouvel interlocuteur. S'il y avait un message derrière le nombre et le symbole, Lovelie n'était pas prête de le déchiffrer. Elle baissa les yeux vers sa propre carte, toujours entre ses mains manucurées, comme si celle-ci allait lui dévoiler ce qui se passait. Elle releva les yeux vers lui, réfléchissant à la question alors qu'elle penchait la tête de côté : « C'est difficile à dire... Je perds vite la notion du temps, mais je viens peu de ce côté-ci en effet. C'est trop sombre et déprimant. » Lovelie aurait voulu lui poser des questions à son tour. Les amener à une table avec du thé et des petits gâteaux. Elle avait même des graines pour oiseaux et comme ça le corbeau du garçon n'aurait pas à se sentir isolé. Elle pensait à tout et tendait à penser qu'elle était une bonne hôte.

Voilà, elle s'égarait encore. Pourtant, ce n'était pas le moment. Selon l'inconnu, c'était un piège et elle fit une moue déçue. Oh non, pas des ennuis. La dernière fois avec Ramirez lui avait suffi. Elle ne comprenait pas ce besoin de faire des dégâts que pouvaient avoir tant de personnes dans le monde des rêves. Ils avaient de quoi faire tous les rêves qu'ils voulaient, mais non, il fallait faire des dommages et ennuyer les autres. Lovelie était franchement agacée. Elle plaqua ses mains sur sa jupe pour éviter qu'elle ne s'envole et montre au jeune homme ses sous-vêtements. Tant bien même il était charmant, elle ne se dénudait pas pour si peu et préférait faire connaissance avant. Il vint prendre sa main et elle leva les yeux vers lui avant de regarder autour d'eux. Les cartes autour d'eux prenaient vie comme des soldats sans visages. Lovelie resserra sa prise sur la main du jeune homme. Elle s'apprêtait à montrer ses talents de sprint en talon quand une voix se fit entendre. Ce qui la stoppa net alors qu'elle devinait ses intentions. Lovelie se retourna et chercha du regard d'où la voix pouvait venir. Quelqu'un qui se cachait n'annonçait jamais rien de bon selon elle. Et elle n'appréciait pas sa façon de se moquer du garçon qui apparemment s'appelait Hamilton. Elle aurait voulu rétorquer qu'elle n'avait jamais eu besoin qu'on se batte à sa place. Ceux qui avaient cru cela s'en était toujours voulu ensuite. Elle préférait même être celle qui protégeait. Quel mal y avait-il si elle pouvait se débrouiller seule et s'occuper des autres, mâles comme femelles ? Son apparence légère et vaporeuse trompait certes toujours les inconnus mais c'était frustrant.

Décidément, Lovelie n'aimait pas les règles du jeu. Pourtant, elle était joueuse et loin d'être mauvaise perdante. Mais le résultat était là très définitif. Et si elle n'avait pas envie de perdre sa tête, elle n'avait pas non plus envie qu’Hamilton la perde aussi. C'était utile parfois une tête. Lovelie tenta de reculer quand Zéphyr esquiva une carte particulièrement agressive. Heureusement, il s'écarta à temps et se mit à courir l'entrainant dans sa fuite. Ils allaient être nécessaire de trouver un peu de coordination, mais pour le moment, ils étaient à deux et entiers.

Tout autour d’eux, les cartes s’animaient et les suivaient dans un brouhaha de papier. Ils ne pourraient courir indéfiniment. Si Lovelie n’était pas en sucre malgré ses apparences, courir sur la longueur perchée sur des talons n’était pas des plus faciles. Elle réfléchissait à toute allure pour tenter de trouver une alternative à la fuite. « Un feu serait…» Commença-t-elle à dire mais elle ne put continuer sa phrase. Une carte ayant pris vie tout à côté d’eux se lança sur elle et pour l’éviter elle ne put que lâcher la main de Zéphyr avec grand regret. En l’espace de quelques secondes, elle venait de se faire écarter de son compagnon d’infortune alors que deux autres cartes venaient faire barrage pour éviter qu’ils ne se rejoignent. Lovelie poussa un cri de frustration avant d’appeler Zéphyr. « Hamilton ! Ne m’abandonnez pas ! »

Oh Never, Never... Sweet old Never...
Mais où donc es tu allé chercher cette carte? Qui donc as tu charmé avec ton beau plumage et qui donc t'as donné ce cadeau empoisonné? Je ne peux pas t'en vouloir, très cher Corvus mais je crois qu'à l'avenir, je laisserai les fenêtres fermées pour que tu ne puisses pas t'aventurer au dehors.

Oh Never, Never... Bad Never...

Suis-je en train de me laisser aller à la poésie? Peut être. Pourquoi pas? Le moment ne s'y prête pas du tout mais pourquoi attendre pour saisir le moment, pourquoi ne pas prendre le temps, le temps de valser, le temps de courir.

Un pied après l'autre Zephyr, que me répétait souvent mon grand frère Georgie.

Georgie tout est fini, si tu savais ce que je suis devenu, tu rirais probablement et en me disant que je n'ai eu que ce que je mérite. Je suis un sale rêveur, un fainéant qui passe beaucoup trop de temps sous sa couette et oh douce ironie du sort, voilà que je me retrouve enfermé dans le monde de Morphée en personne.

Mais non, au diable les alexandrins et les épithètes, il faut que je me concentre sur cette petite main à l'intérieur de la mienne et que je cours et que je joue. Je ne suis pas un très grand joueur et ma camarade, Miss Doherty semble elle aussi tenir à sa vie. Quelle vie menons nous réellement dans cet univers? Bonne question, l'heure n'est pas à la philosophie, mettez vous au repos cher hypothalamus et cortex cérébral, laissez donc les jambes prendre le relais. Je cours, mais pour aller où? Des cartes, partout des cartes et Never qui n'en finit pas de se faire entendre, est-ce qu'il nous guide? A t-il trouvé une sortie, impossible de la savoir. Tout est flou, en fait... Mis à part la main de la jeune femme dans la mienne... Je ne suis certain de rien. Absolument rien, et c'est un sentiment que je déteste vraiment, qui vous prend à la gorge et vous empêche littéralement de respirer. Je fus donc dérouté au possible lorsqu'une carte se dressa entre nous, l'obligeant à rompre le contact. Non, non, non... Cela n'avait duré qu'une demi-seconde, tout au plus, mais dans ce chaos, c'était suffisant pour nous faire voir la fin.

« Hamilton ! Ne m’abandonnez pas ! »

Vous savez quoi? Dans d'autres circonstances, j'aurais probablement adoré une scène telle que celle-là. L'excentrique perdue au milieu des cartes et qui demande de l'aide à l'homme qui ne sait et qui n'a jamais vraiment su de l'aider. Oui, j'aurais adoré m'installer à mon bureau et décrire le sentiment de peur qui s'était affiché sur le visage de Miss Doherty en réalisant que nous allions être séparés, peut être aussi, gaspiller une ligne ou deux pour parler du coeur battant du héro et... Sauf que non, je suis le héro, il s'agit de ma propre histoire, Zephyr Hamilton, légendaire poète non publié, et son compagnon. Je réalise à cette seconde précise que je suis un père bien cruel, toutes ces histoires que j'ai créées par le passé et qui mettent en scène les pires des situations, quelque part là, dans un autre univers, il doit bien exister des centaines de héros qui souffrent et qui se prisent par ma faute. Oh cruelle tragédie, il faudrait bien dix milles Homère pour compter une histoire telle que celle-là. Je pris une profonde inspiration pour me concentrer sur ce que j'avais en face de moi, écrire depuis tant d'années m'a permis de réussir à bloquer les sons extérieurs et de me concentrer sur ce que je souhaite. Un peu comme une sortie de son corps pour se concentrer sur ses pensées.

Pense. Miss Doherty est entourée, il faut la sauver.
Pense. Il faut que nous courrions, que nous trouvions nos cartes.
Pense. Never... Un coup de main?

Alors que cette pensée me traverse l'esprit, Never fondit sur les cartes qui me barraient la route. Les cartes de plièrent et se froissèrent mais au final, elles eurent raison de mon compagnon qui poussa un autre cri strident avant de s'éclipser au loin. "NEVER." Ma voix est puissante, c'est une voix que je n'ai pas utilisé depuis longtemps mais tant pis, je regarde mon compagnon s'éloigner avec une mine déconfite. Adieu mon porte malheur. Les cartes arrivent en surnombre vers moi. "Continuez d'avancer Miss Doherty." Que je m'exclame et je tente d'avancer, dans ce dédale de carte. Oui, du feu, un feu serait le bienvenu, mais même si je fume, je n'ai pas mon briquet sur moi, je n'ai qu'une plume dans une poche, avec sans doute de l'encre dessus, et un morceau de papier froissé. Nous sommes dans les rêves, nous pouvons créer, et les cartes ne devraient pas bouger, alors peut être que de mon papier je pourrais vraiment créer quelque chose.

Zephyr, sors donc de ta tête.

Je tombe, oui je tombe, une des cartes me bouscule et je tombe sur le sol, un cri m'échappe, ma jambe... Mon dieu ma jambe. La douleur me paralysa sur le sol pendant quelques secondes. Je n'ose pas regarder en bas mais je sais que l'angle formé par ma jambe désormais n'est pas naturel. Oh tant pis. J'avais réussi à semer les cartes et je les vois derrière moi qui me rattrapent, je ne distingue pas Miss Doherty, je ne vois que du rouge autour de moi. Tant pis, je sors ma plume et le morceau de papier et dans un tremblement frénétique, je forme un petit tas, une petite boule, de tout cet ensemble d'écrivain et je le lance, espérant qu'elle l'attrape. "TENEZ DU FEU."

... Délire d'écrivain? Probablement que oui.