Marcia était plutôt une fille sympa, il ne la connaissait pas depuis peu, ils ne s'étaient pas vu beaucoup mais elle était de ces filles qui apporte un peu de gaieté et d'espoir là où elle passe. D'une certaine façon, elle lui rappelait un peu son ex petite amie du temps où il n'habitait pas Ojai, elle était toujours souriante, optimiste... Et c'était ce qu'il lui fallait pour le requinquer un peu et le faire sortir de ses idées sombres qu'il cultivait depuis son arrivée dans le village un peu plus de deux ans auparavant.
Ce soir là, Dorian Landry avait décidé de l'inviter au restaurant du village. Ce n'était pas un restaurant cinq étoiles, c'était assez miteux mais l'ambiance y était assez intimiste puisque la salle n'était jamais bien rarement remplie; et la nourriture n'était pas si mauvaise que ça. Au pire, elle pourrait difficilement faire la difficile. Ojai ne proposait pas beaucoup de choix en matière de restauration ou lieux de sortie. Il lui avait donné rendez-vous à 20h30 le temps de pouvoir sortir du travail et prendre une douche. Le médecin avait alors troqué sa blouse pour enfiler un jean gris ainsi qu'une chemise, son caban noir, et il s'était rendu au restaurant d'Ojai. Pour la forme, il avait réservé une table. Et encore pour la forme, il était en avance de dix minutes. Il l'attendit patiemment et lorsqu'enfin elle arriva, il la salua avant de la tirer délicatement par le coude pour la faire pénétrer à l'intérieur du restaurant et s'installer à une table. Ils commandèrent à boire d'abord, puis à manger. « Les gens sont tellement désespérés ici qu'ils deviennent hypocondriaques. Ils se trouvent toutes sortes de maladie dans l'espoir de mourir. » dit-il alors qu'il patientait dans l'attente qu'on leur ramène leur plat. La mort n'était pas pour lui un tabou, en tant que médecin, c'était quelque chose qu'il côtoyait assez régulièrement. « Toi t'es heureuse d'être ici ? De pas pouvoir voir autre chose ? » l'interrogea-t-il réellement intéressé par la réponse qu'elle avait à lui offrir. Il porta son verre de vin à ses lèvres pour en boire une gorgée puis le reposa sur la table, sans quitter des yeux la blonde assise en face de lui.

Ce soir-là j’avais rendez-vous avec Dorian, un rendez-vous tout ce qu’il y a de plus courtois, je devais le retrouver au petit restau du village. Je le connaissais depuis peu, il était docteur et j’avais vu en lui assez de désarrois pour avoir envie de le revoir. Nous en étions à notre quatrième rencard. Je connaissais peu le village et ses habitant ne faisant seulement que quelques mois que j’y avais posé bagage. Je ne connaissais pas encore la durée de mon séjour à Ojai, j’étais le genre de fille assez nomade qui n’aime pas rester trop longtemps au même endroit pourtant j’étais tombée en amour pour ce petit coin de la Californie. J’étais encore à la maison en train de me préparer pour ce rencard, ça n’avait beau ne pas être le restaurant le plus hype qui puisse exister j’avais toute de même envie de me pomponner un minimum. J’avais laissé l’épicerie à Louve qui était dans la confidence de ce rencard, elle m’y avait d’ailleurs presque un peu forcé la main pour le coup et cela m’avait fait quelque peu rire. J’arrivais devant le restaurant, j’avais fait un effort vestimentaire pour cette soirée, moi qui étais plutôt du genre à choisir des vêtements dans lesquels j’étais à l’aise sans pour autant avoir l’air d’un sac. Robe, talons, le genre de chose que je ne portais seulement lors de soirée où de rencard. Dorian était déjà là il m’attendait, moi qui avait cru arriver à l’heure « Excuse-moi, tu n’attends pas depuis trop longtemps j’espère. », j’entrais dans la salle en sa compagnie, c’était un bel homme et j’étais tout de même assez fière de traverser le restaurant avec lui à mes côtés. Nous nous installions à une table pour deux « Les gens sont tellement désespérés ici qu’ils deviennent hypocondriaques. Ils se trouvent toutes sortes de maladie dans l’espoir de mourir. » Je trouvais ça assez morbide, j’aimais Ojai et je m’y plaisais pour l’instant je ne comprenais pas pourquoi les gens était comme ça ici. Pourtant j’avais bien remarqué les visages pleins de désespoirs des clients qui venaient à l’épicerie « C’est ce que j’ai pu remarquer, je trouve ça dommage, j’aime bien cet endroit, on y est bien, c’est tout à fait charmant. » Bien sûr comme à mon habitude mon éternel optimisme prenait le dessus j’étais une fille comme ça, je profitais de la vie, ne voulant gâcher aucun instant de mon existence. « Toi t’es heureuse d’être ici ? De pas pouvoir voir autre chose ? ». Je ne savais pas si il était au courant de mes aventures, j’avais beaucoup voyagé et des choses j’en avait vu, l’Europe, le Tibet, l’Amérique du Sud et aujourd’hui la Californie, j’étais un véritable globe-trotter. « Contrairement à beaucoup de gens ici, oui je suis heureuse d’être là. J’suis arrivée un peu au hasard tu sais. Je ne sais pas si j’y resterais toute ma vie, ce n’est pas tout à fait mon genre de rester trop longtemps au même endroit, mais sait-on jamais. Après tu sais, j’ai beaucoup voyagé, ce serait certes un peu prétentieux de dire que des choses j’en ai vu, mais pourtant c’est un peu ça... » lui dis-je en le regardant, affichant sur mes lèvres mon éternel sourire qui ne se détachait que très rarement de mon visage.

Spoiler:
	hj : pardon pour la longueur, j'étais très inspirée.

Il lui coula un regard légèrement intrigué lorsqu'il l'entendit dire qu'Ojai était un endroit tout à fait charmant et qu'elle ne comprenait pas l'ambiance qui y régnait. En effet, lorsqu'on arrivait à Ojai, ça n'avait rien d'un village habituel. Certes, il y avait des maisons, des petits magasins de proximité, pour la forme... Mais à la seconde où Dorian était sorti de sa voiture pour aller chercher un truc à l'épicerie, pour la première fois, lorsqu'il avait compris qu'il ne repartirait pas, l'atmosphère lui avait glacé le sang. On avait jamais vu autant de dépressifs et de gens malheureux regroupés dans un si petit endroit. Marcia faisait partie des gens naïfs manifestement, elle pensait qu'elle allait pouvoir repartir, qu'elle ne resterait pas ici toute sa vie. Elle n'était apparemment pas au courant des règles d'Ojai. On ne repartait jamais, sauf en mourant. Dorian Landry décida de garder son calme, il ne savait pas s'il devait s'amuser de sa naïveté ou bien au contraire s'il devait avoir pitié de tant d'espoir en vain. C'était comme continuer de croire au père noël à l'âge de 24 ans, c'était mignon mais relativement triste. La blonde lui raconta qu'elle avait beaucoup voyagé et qu'elle désirait se poser un peu avant d'éventuellement repartir. Dorian l'observa un instant, son habituel air de médecin compréhensif mais passif sur le visage, il passa sa main sur sa mâchoire avant de prendre son verre pour boire une nouvelle gorgée de vin. La situation était plus que délicate, lui dire qu'elle ne repartirait jamais c'était lui apprendre qu'elle était condamnée. D'une part, il se sentait obligé de le lui dire, c'était son devoir, c'était comme apprendre à quelqu'un qu'il allait mourir d'un cancer... D'autre part, il n'avait pas envie de gâcher ce rencard.
Dorian Landry avait des principes. Il n'en avait pas toujours eu, du temps où il ne vivait pas à Ojai il était tout sauf quelqu'un avec des valeurs et des principes, il ne pensait qu'à lui, complètement rongé par son ambition.. Et aujourd'hui, au contraire, il avait pris l'habitude de penser d'abord aux autres. Il était donc de son devoir de dire la vérité à Marcia avant qu'il ne soit trop tard. « Crois moi que si il était possible de partir d'Ojai, je ne serais plus là depuis longtemps. » il termina son verre d'une traite et le reposa sur la table « Tu ne repartiras jamais, c'est impossible. Personne ne part d'ici. » il ne baissa pas les yeux, continua de la regarder pour éventuellement pouvoir la soutenir... Un serveur arriva pour déposer leur plat sur la table, il s'en alla aussitôt son travail effectué.

J’étais ce genre de fille qui ne voyait le mal nulle part, pour moi Ojai n’était qu’une étape, qu’un endroit où je pourrais me poser le temps de découvrir le pays, d’y vivre quelque temps et je repartirais poser mes valises ailleurs, découvrir de nouveaux horizons, mais apparemment ça ne se passait pas comme ça ici et moi... Je l’ignorais. J’étais là depuis quelques semaines tout au plus, je ne connaissais rien à la vie qu’il se menait ici, je ne savais rien de ce complot, de cette histoire qui faisait que ce village n’était pas comme tous les autres. Si je l’avais su je ne serais sans aucun doute jamais venue. Dorian me regardait avec son air de médecin à qui on raconte sa vie pour se soulager, j’esquissais un sourire, j’le trouvais attendrissant. Je portais le verre vin à mes lèvres afin de boire une gorgée et le reposais sur la table croisant mes jambes dans le même mouvement.
J’avais cette impression qu’il allait m’annoncer quelque chose de grave, je continuais de sourire pensant que c’était naturel chez lui. Quand il commença à prononcer ces quelques mots « Crois-moi que si il était possible de partir d’Ojai, je ne serais plus là depuis longtemps. » j’arquais un sourcil, attendant la suite, il devait m’expliquer je ne pouvais pas rester comme ça «Tu ne repartiras jamais, c’est impossible. Personne ne part d’ici. » Mon visage se figeât et là j’ai compris pourquoi il y avait tant de détresse sur le visage des habitants. «Tu … tu veux dire... Qu’en quelques sortes nous sommes … condamnés ? » je le regardais dans les yeux, je ne savais pas pourquoi l’on ne pouvait pas quitter le village et ça me faisait un peu peur à vrai dire. Le serveur déposa le plat sur la table puis s’en alla mais mon regard ne se détaché pas de Dorian. C’était assez dur à croire qu’un truc pareil puisse se passer, ce n’était tellement pas réel, pas normal. J’étais une sorte d’oiseau et arriver à Ojai de mon plein gré était un peu comme entrer dans une cage dans laquelle je ne pourrais jamais sortir. Seulement, je ne voulais pas devenir aigrie comme la plus part des habitants, j’étais une source de bonne humeur et j’allais le rester, condamnée ou pas.

Oui au final, il était probablement le mieux placé pour lui annoncer la triste vérité. En fait, c'était son métier d'annoncer des mauvaises nouvelles au gens. Il n'y prenait pas tellement de plaisir, en fait avec le temps, ça ne lui faisait presque rien et selon lui, mieux valait une vérité dure à avaler qu'un délicieux mensonge qui apaise les âmes. Il était de ces esprits scientifiques qui ne croit qu'en deux et deux font quatre, pour qui le plus important sont les faits et non pas les théories fumeuses sans queue ni tête, alors oui.. La vérité était pour lui bien au dessus de tout. C'était avec un ton grave qu'il lui avait annoncé qu'elle ne repartirait pas et l'expression sur le visage de la jeune femme avait immédiatement changé. Toujours de marbre, Dorian l'observait alors qu'elle lui demandait s'il insinuait qu'ils étaient condamnés. Il pinça les lèvres, déglutit et baissa les yeux sur son assiette. C'était la triste vérité oui, ils étaient condamnés et il avait du mal à se l'admettre lui même. Voila plus de deux ans qu'il était ici et il regrettait sa vie d'avant, alors oui.... Le fait d'être condamné le bouffait de l'intérieur et il n'était pas mieux que tous ces gens déprimés qui traînaient dans Ojai. C'était comme être le policier qui sauve des vies mais qui une fois la nuit tombée tue des innocents... Il était le médecin qui soignait les âmes condamnées de Ojai mais qui, une fois chez lui, se torturait l'esprit au point de ne plus dormir, de développer une addiction à la caféine et à la nicotine... Celui qui avait peut être le plus besoin d'aide mais qui se contentait d'aider les autres. « Oui, c'est ça. » répondit-il finalement les yeux baissés sur son assiette alors qu'il plantait sa fourchette dans sa nourriture pour en prendre une première bouchée. « La vie n'est pas si difficile au final... Il faut s'y habituer c'est tout.» il releva la tête pour lui adresser un sourire tendre et pleins d'espoir. « Ca va aller ? »